Alors que la Fnac vient d’opérer son entrée en bourse, retour sur la saga d’une marque-enseigne qui a réussi à développer un lien fort avec les Français par la mise en place, avant l’heure, des préceptes du marketing expérientiel.
Même si la situation de la Fnac est aujourd’hui incertaine, l’enseigne parvient peu ou prou à maintenir la tête hors de l’eau grâce à une image forte et au lien qui s’est tissé au fil des ans avec ses clients. Son chiffre d’affaires a certes baissé de 2,5% en 2012, mais en maintenant un résultat d’exploitation positif. Beaucoup de ses concurrents dans le secteur de l’électronique grand public et des loisirs culturels ont dû jeter l’éponge.
Surcouf avait basé son positionnement sur la seule promesse de prix bas, mais on peut maintenant toujours trouver moins cher sur internet ; Virgin s’était ancré sur le registre du temple du disque, mais on peut toujours trouver plus de choix sur internet.
La Fnac, elle, va avoir 50 ans. Créée en 1954 par Max Théret et André Essel, deux militants d’extrême gauche convertis en entrepreuneurs, la Fédération Nationale d’Achat des Cadres vend tout d’abord des appareils photos et se fait connaître par ses services au client, qu’elle conseille en fonction de ses goûts, ses besoins et ses moyens.
La Fnac se veut totalement indépendante des fabricants et se permet même de publier très tôt une revue interne, Contact, qui dresse une liste noire dénonçant les produits décevants, les fausses innovations et les arnaques. L’enseigne garde cette indépendance militante même lorsqu’elle commence à distribuer des disques en 1961 puis des livres à partir de 1974. À partir des années 80, la Fnac surfe sur le succès des nombreuses innovations technologiques (video VHS, baladeur CD, puis DVD…).
Elle se lancera même dans le sport avec sa filiale Fnac Sport, revendue en 1987 à Go Sport. Lorsqu’elle est rachetée par le groupe PPR (récemment rebaptisée Kering) en 1994, la Fnac est l’une des enseignes préférées des Français, avec sa fameuse signature “Agitateur d’idées depuis 1954“, portée par des spots amusants comme “La BD“.
Les choses se compliquent à partir des années 2000, avec la chute des ventes de disques et des marges sur les produits électroniques. Le virage numérique a été négocié tardivement (la vente en ligne s’est plutôt bien rattrapé depuis avec fnac.com mais le téléchargement de musique en ligne est quasi-inexistant) et celui de la téléphonie mobile a été raté. L’enseigne se cherche depuis cette période. Les campagnes de communication se succèdent, avec “Certifié non conforme“ en 2004, puis “Agitateur de curiosité“ en 2007.
La même année, elle est obligée de revendre ses boutiques Fnac Services, spécialisées dans la photographie, qui émaillaient les centres-villes et les centres commerciaux mais qui n’ont pas résisté à l’arrivée du numérique. Ce réseau est passé sous pavillon Photo Station, avant d’être à nouveau cédé, en partie, à Orange.
Depuis l’arrivée d’Alexandre Bompard fin 2010, qui avait pour mission de monétiser la marque dans le cadre d’une cession, la Fnac s’est engagée dans trois directions principales :
– Le rattrapage du virage numérique par la signature de partenariats d’exclusivité avec d’autres acteurs établis comme I-Tunes pour le téléchargement de musique, SFR pour l’exploitation d’un rayon téléphonie mobile ou encore le canadien Kobo pour les liseuses (qui ont réussi à être une alternative crédible à celles d’Amazon).
– Un développement de son ancrage sur les biens culturels et les loisirs technologiques, avec l’arrivée de nouveaux rayons, dont l’espace Kids (revival du segment ludo-éducatif autrefois assuré par la filiale Fnac Eveil & Jeux, devenue Oxybul Eveil & Jeux et revendue en 2010) et l’espace maison techno/design (culinaire et petit électroménager haut de gamme et design avec plus de 300 références et des marques telles que Nespresso ou Dyson) ;
– L’augmentation de ses points de contacts physiques par l’ouverture de différents formats (certains pouvant même ne pas dépasser 100 m2), avec l’intégration des anciens points de vente Virgin situés dans les gares et les aéroports (et exploités en association avec les points Relay de Lagardère Services) et avec une implantation dans des villes de taille petite et moyenne de magasins de proximité à travers la franchise.
Reste à voir comment cette stratégie pourra se déployer en parallèle à un plan drastique de diminution des coûts (80 millions d’euros en année pleine). La société a annoncé vouloir supprimer 500 postes cette année, principalement au sein du siège social. Elle a également commencé à renégocier ses loyers qui représentent le premier poste de dépenses de ses magasins, en menaçant parfois d’une fermeture pour être entendue. Aucun détail n’est épargné et même les équipes de ménage ne passeraient plus qu’une fois par semaine au siège d’Ivry. Certains magasins pourraient fermer (c’est le cas de celui ouvert il y a peu au centre commercial Millénaire en banlieue parisienne) et d’autres devraient réduire significativement leurs rayons CD et DVD (dont les chiffres d’affaires, représentant environ 15% de l’activité globale, sont en baisse respectivement de 50 et 30 % depuis 5 ans).
Et reste surtout à surveiller comment l’expérience client pourra être respectée dans des espaces réduits de 100 m2 (gares / aéroports) dans lesquels on trouve essentiellement des livres et accessoires de voyages ou même dans des boutiques de 300 m2 pour les plus petits franchisés (Melun par exemple).
Le développement d’un plus grand maillage national à travers la franchise est sans aucun doute un excellent complément au développement de la vente en ligne. C’est même peut-être, à moyen/long terme, ce qui permettra à la Fnac de reprendre le dessus sur les acteurs qui ne seraient que sur internet. Mais cela nécessite que l’ensemble de ces nouveaux points de contact soient totalement ancrés dans l’ère 2.0 et qu’ils restent le reflet de l’ensemble de l’offre Fnac (la tentation étant semble-t-il de privilégier, sur les petits formats, la librairie-papeterie, voire la presse).
Rappelons-nous que la Fnac est d’abord un distributeur de produits d’électronique grand public. Attention donc à ce que l’augmentation des points de contact n’entraine pas, in fine, un délitement du lien et une modification trop radicale de l’expérience Fnac qui constitue le socle de la valeur de marque.
En effet, la force de l’enseigne et ce qui a historiquement créé sa valeur de marque, c’est l’expérience client spécifique qu’elle apporte. La Fnac a en quelque sorte, dès l’origine, inventé le marketing expérientiel : créer du lien pour créer de la valeur, un lien spécifique entre le client et la marque, avant, pendant et après l’achat.
En s’appuyant sur une politique forte d’adhérents (2 ,7 millions à l’heure actuelle), en garantissant une offre large et pointue, en développant en magasin des démonstrations produit et des conseils spécialisés, en s’appuyant sur son centre d’essais reconnu, la Fnac a réussi à installer un lien fort avec sa clientèle. Le risque du déploiement en franchise (avec la prédominance de la culture libraire au détriment de la culture high-tech) et dans des lieux de taille restreinte comme les gares et les aéroports pourrait diluer ce lien. La Fnac doit rester un lieu d’expertise, un lieu de rencontre, un lieu de flânerie.
D’autres réseaux, dans d’autres registres, ont réussi à allier les deux, mais avec un système d’appellation permettant d’éviter toute ambiguïté : Monop’ et Monop’daily pour Monoprix, Carrefour Express et Carrefour City pour Carrefour, Confo déco pour Conforama, … ou, en son temps, Fnac Services pour la Fnac ! On sait que chez Monop’daily on ne trouvera pas la même chose que chez Monoprix, on sait que chez Carrefour City on ne trouvera pas la même chose que chez Carrefour et que chez Confo Déco on ne trouvera pas la même chose que chez Conforama.
Peut-être faudrait-il donc que la Fnac reste la Fnac, et que les autres points de contact qui n’ont pas la superficie nécessaire (au moins 800 m2 ?) pour déployer la totalité de “l’expérience Fnac“ bénéficient d’une appellation spécifique (Fnac Relay, Fnac contact ?).
Et dans ces conditions, comme le dit la dernière signature de la marque, on ne pourra qu’adhérer !
Le modèle SWOT appliqué à la FNAC