Retour sur le succès de cette vodka russe fabriquée en France pour des buveurs Américains
La success story de Grey Goose débute en 1996 lorsque le business man américain Sidney Frank, déjà importateur d’Armagnac et de Pineau aux Etats-Unis, a l’idée de créer un nouveau spiritueux qui lui permettra de poursuivre la réussite marketing du Jägermeister (liqueur dont il avait obtenu les droits de commercialisation dans les années 70). Il jettera son dévolu sur la vodka, boisson relativement simple et peu onéreuse à fabriquer, et visera le marché premium en choisissant de s’appuyer sur l’imaginaire du luxe à la française.
« France has the best of everything, it’s the home of luxury and we can bottle that »
Traditionnellement associé à l’univers du luxe, le « made in France » l’est toutefois moins pour la vodka, plutôt issue des pays de l’Est ou d’Europe du Nord comme la Russie (Smirnoff), la Pologne (Żubrówka) ou la Suède (Absolut),… Qu’à cela ne tienne. Sidney Frank décide de chercher une légitimité auprès des maîtres chais de la région de Cognac en créant une vodka française qui s’appuie sur leur savoir-faire ancestral. Le nom, Grey Goose (oie cendrée en français), renvoie d’ailleurs aux oies qui traversent la région de Cognac. Distiller son eau-de-vie sur les terres des plus grandes maisons de Cognac sera aussi le moyen de justifier un prix deux fois plus élevé que celui de ses concurrentes sur le marché.
C’est en 1997 que l’homme d’affaires commercialise ses premières bouteilles. Il s’appuie sur un réseau de distribution assez sélectif, celui-là même qui commercialisait le Jägermeister à l’époque. Dès 1998, la légende Grey Goose se façonne, période où le Chicago Beverage Testing Institute désigne la vodka Française comme étant la meilleure vodka au monde. Si la décision n’est pas au goût de tout le monde, elle va pourtant contribuer à l’explosion des ventes.
Pour parfaire son image haut de gamme et promouvoir son art de vivre à la Française, la bouteille aux oies cendrées cherche à s’imposer auprès des influenceurs en s’installant dans les grands hôtels et les hauts lieux de la nuit. Peu après son lancement, le produit sera cité dans la célèbre série à succès « Sex & the City ». Le bouche à oreille va alors prendre beaucoup d’ampleur.
Dès le début des années 2000, les saveurs se diversifient pour s’adapter aux nouveaux standards du marché. La vodka originale se décline alors en saveurs orange, citron, vanille ou poire, qualité premium préservée grâce aux arômes extraits de fruits frais.
C’est en 2004 que le groupe Bacardi rachètera la petite start-up pour plus de 2 milliards de dollars pour en faire une véritable marque mondiale (soit paraît-il le plus haut montant jamais proposé pour acquérir une marque de boisson). Bacardi va ainsi renforcer le territoire de communication de la marque en l’introduisant au Festival de Cannes. Présente pour la 8ème année consécutive sur la Croisette, elle lance le Carré Grey Goose en 2012 et inaugure son voilier l’année d’après. Un cadre intimiste visant à faire partager sa vision du luxe français, où les convives sont reçus par Claudio Bedini, le nouvel ambassadeur de la marque.
Premier média du produit, le packaging est lui aussi soigneusement travaillé. Chaque année désormais, de grands artistes (Chopard, Christofle, Su Blackwell) s’associent à la marque pour proposer des coffrets en édition très limitée.
Bacardi va aussi mettre en place de nombreux partenariats avec les meilleurs bars de la capitale et du monde. En France, la marque multiplie ses actions depuis bientôt dix ans. En 2005, elle s’associe au Ice Kube Bar, lieu atypique implanté au sein de l’hôtel Murano au décor surréaliste composé de 20 tonnes de glace avec habillage lumineux et musical tendance. Partenaire exclusif de l’établissement, la Grey Goose se déguste en sessions de 30 minutes dans une température ambiante avoisinant les -10°. Une aubaine pour la notoriété et l’image premium de la marque. Après avoir communiqué auprès des barmen français en organisant des ateliers cocktail, la marque a installé l’année dernière un bar éphémère sur la terrasse du BHV Rivoli et créé pour l’occasion un cocktail inédit, le Starlight, à base de cerise, d’orange sanguine et de citron vert.
En quelques années seulement, Sidney Frank a donc imposé sa vodka Française sur le marché. Coup de bluff, coup de chance ou coup de génie ? Peut-être juste une alchimie des trois. En 2008 Grey Goose avait déjà capté 6,3% du marché américain et 55% du marché des vodkas premiums en concurrence directe avec la Smirnoff et l’Absolut.
