Fondée en 1892 par David Thomas Abercrombie et Ezra Hasbrouck Fitch, l’entreprise américaine était à l’origine spécialisée dans les vêtements de safari et de camping. L’arrivée aux commandes de Mike Jeffries en 1992 marque un virage radical vers une mode plus élitiste, jouant sur le narcissisme et la sensualité assumée.
Abercrombie & Fitch se décrit aujourd’hui comme une marque de « Casual Luxury », c’est-à-dire de « luxe décontracté » à destination d’une élite américaine jeune et branchée. De ses premières années en tant que marque spécialisée dans la nature (elle s’est d’abord fait connaître en vendant des tentes, des cannes à pêche et même des fusils de chasse), il ne reste aujourd’hui qu’un logo en forme d’élan. Rachetée et repositionnée alors qu’elle était en faillite au début des années 90, la marque investit énormément en communication, portée par les photographies osées de l’américain Bruce Weber. La polémique autour d’Abercrombie commence alors à se créer.
A partir de 2005, la marque se repositionne sur le haut de gamme et ouvre un magasin sur la prestigieuse Cinquième Avenue. Mais pour justifier des prix s’alignant désormais sur le secteur du luxe, l’accent sera porté sur la qualité des matériaux et la création d’une véritable expérience autour de l’achat : magasins aux lumières tamisées qui diffusent une musique tendance au niveau sonore équivalent à celui d’une boite de nuit ; vendeurs musclés, torses nus, avec lesquels la tradition veut se faire prendre en photo : le lieu de vente est un territoire de communication à part entière, avec une scénarisation et une expérience sensorielle mêlant stimuli visuels, auditifs, olfactifs et kinesthésiques.
C’est à cette même période que la marque commence son expansion à l’international (Montréal en 2005, Londres en 2007, Tokyo, Rome en 2009, Paris en 2011, etc.). La transgression, l’élitisme et l’expérience d’achat ont fortement contribué à son succès. Lors d’une visite à Los Angeles ou à New-York, Abercrombie était d’ailleurs le magasin où il fallait se rendre, et l’emblématique sweat à capuche, le cadeau branché par excellence à ramener chez soi. Entre 1995 et 2008, les ventes du groupe seront d’ailleurs multipliées par 20 et les bénéfices par 56. Mais la rareté des boutiques Abercrombie participait de l’engouement des consommateurs pour la marque. La multiplication des ouvertures a peut-être fait perdre à la marque sa singularité et son exclusivité. Beaucoup de marques, soucieuses d’élargir le lien avec leurs consommateurs, ne parviennent pas forcément à trouver le bon équilibre entre extension et renforcement du lien (cf article sur la FNAC).
Abercrombie & Fitch est surtout connue pour sa stratégie marketing controversée et l’enchainement de ses faux pas médiatiques. Elle est accusée entre autre de promouvoir la sexualisation précoce des jeunes filles en commercialisant des strings et des bikinis rembourrés en taille enfant. Et en plus d’engager leurs vendeurs sur des critères exclusivement liés au physique, Mike Jeffries a récemment supprimé les tailles XL et XXL du rayon femmes et affirmé ne vouloir cibler qu’une élite de gens beaux et populaires. Un discours qui a provoqué de vives réactions sur les réseaux sociaux et notamment celle de Jes, créatrice du blog The Militant Baker et mannequin grande taille, qui a adressé une lettre ouverte accompagnée d’une série de photos (Attractive & Fat) pour exprimer sa colère au dirigeant. Choqué par la discrimination pratiquée par le groupe, l’auteur Californien Greg Karber a lui aussi provoqué A & F en distribuant les vêtements récupérés dans des friperies aux sans-abris de son quartier et en invitant les clients Abercrombie à en faire de même et à filmer leur initiative. Une vidéo qui cumule près de 8 millions de vues en seulement quelques mois.
Voir l’initiative de Greg Karber
Avec la montée du rejet de la discrimination, Abercrombie & Fitch commence peut-être à ramer à contre-courant. On lui reproche aussi un manque de renouvellement dans les collections de vêtements et une stratégie de prix en décalage avec la qualité intrinsèque des produits. Il n’est pas certain que la marque de mode réussira à devenir une marque de luxe…