L’ère du numérique a failli sonner le glas de la marque emblème de la photographie instantanée, véritable institution des Trente Glorieuses. Zoom sur l’histoire d’une marque qui essaie de revenir dans l’actualité.
L’histoire des Polaroids démarre au début des années quarante sous l’impulsion du chimiste Américain Edwin Herbert Land. L’histoire veut que ce soit sa petite fille qui lui ait inspiré l’idée de la photographie instantanée après lui avoir demandé pourquoi il n’était pas possible de voir les photos aussitôt la prise de vue effectuée. Il lui faudra près de cinq ans pour régler les obstacles techniques et mettre au point le prototype qui sera présenté pour la première fois devant l’Optical Society of America en 1947. Le modèle nommé « 95 » en référence à son prix s’écoulera à près d’un million d’exemplaires.
Pour en assurer la promotion, le Dr Land pratique le placement de produits, en distribuant ses pellicules et appareils aux plus grands photographes de la planète (Ansel Adams, Walker Evans, Manuel Alvarez-Bravo, Minor White, Bernard Plossu, Andy Warhol, Chuck Close,…) ainsi qu’aux étudiants des écoles de photographie. En échange, il demande aux artistes de lui céder quelques clichés et de lui faire part de leurs critiques et suggestions pour l’amélioration de ses modèles. Mais si à l’origine Polaroid a sponsorisé les artistes pour se faire un nom dans le milieu, c’est ensuite eux qui ont plébiscité l’appareil pour son style bien particulier. L’esthétique imparfaite des Polaroids jouera d’ailleurs un rôle décisif dans les nouvelles pratiques artistiques.
Les années suivantes seront marquées par de nombreuses innovations techniques. L’apparition du Polaroid couleur en 1963, l’amélioration du système d’exposition, le développement d’un modèle avec mise au point automatique et flash intégré et surtout l’élaboration d’un procédé permettant la suppression de la fameuse étape « d’épluchage » de la photo. Les années 70 marqueront l’apogée de la marque, qui n’hésite pas à vendre ses appareils à perte afin de favoriser le taux d’équipement des ménages pour ensuite se rémunérer sur les films photos : un business model fondé sur le marché des consommables, comme peut le pratiquer Nespresso aujourd’hui. Le modèle 1000 sera ainsi à l’époque l’appareil photo le plus vendu au monde pendant quatre années consécutives.
En 1976, Polaroid attaque Kodak en justice pour contrefaçon suite à la mise en vente de son appareil à développement instantané. La marque bataillera près de dix ans pour faire valoir ses droits et c’est seulement en 1986 qu’elle remportera le procès pour détournement de brevets. Mais, par ailleurs affaiblie par une offre hostile d’achat qui l’oblige à s’endetter, elle devra finalement se déclarer en faillite en 2001 à l’amorce du virage numérique. Malgré le soutien d’un nouvel actionnaire, Polaroïd devra abandonner sa production en 2008. C’était pourtant sans compter sur les inconditionnels de la marque car quelques mois après la mise en faillite, l’autrichien Florian Kaps propose à onze salariés d’une ancienne usine des Pays Bas de racheter les machines restantes et de mettre au point une nouvelle émulsion pour relancer la production. Ce projet un peu fou s’appellera « The impossible project ».
Les premiers films sont mis en vente en mars 2010 sur la plateforme « The impossible project » mais s’implantent rapidement dans les concepts-stores de luxe tels que Colette ou Urban Outfitters. Toutefois, à 2,50 € environ la prise de vue, l’ambition n’est plus de séduire le grand public comme autrefois mais plutôt de s’implanter sur un marché de niche composé d’amateurs nostalgiques, de professionnels de la photographie et de jeunes branchés. Mais si, d’après les nouveaux utilisateurs, les nouvelles pellicules ne valent pas celles d’antan, la marque semble pourtant avoir su ranimer la flamme.
Polaroid a récemment lancé le concept du Fotobar aux Etats-Unis. Un lieu dans lequel les visiteurs peuvent retoucher et imprimer les photos qu’ils ont prises avec leurs smartphones et autres appareils numériques. L’objectif de la marque étant de stimuler la demande pour l’impression papier grâce à l’optimisation artistique du rendu photo. En plus des ateliers de retouche, des passionnés de photo sont à la disposition des visiteurs pour les guider et les conseiller dans leur projet. Le lieu propose aussi des cours de photos, des expositions et des soirées privées. Qui plus est, la marque a annoncé la mise en place d’un partenariat avec Instagram pour lancer un appareil aux couleurs du réseau social. Le Polaroid Socialmatic Camera est prévu pour le début de l’année 2014. Et si la marque parvenait à renouer durablement le lien avec les consommateurs ?