Polaroid reprend des couleurs

Marque emblématique de la fin des années 70, incarnation de la photo instantanée, Polaroid n’en finit pas de se réinventer et a commencé 2020 avec une identité visuelle modernisée.
Polaroid2
Polaroid3

2017

Polaroid4

2020

Polaroid Corporation est une société américaine fondée en 1937 par Edwin H. Land, un scientifique inventeur d’un matériau polarisant aux très nombreux débouchés dans le domaine de l’optique. L’entreprise sera, à l’origine, spécialisée dans la fabrication de lunettes de soleil à verres polarisant. Le nom Polaroid fait référence au « polariseur » (« polarizer » en anglais), c’est-à-dire un appareil capable de transformer la lumière naturelle en lumière polarisée, avec le suffixe « oïde » (« oid » en anglais), utilisé dans la formation des adjectifs ou des noms pour signifier l’idée de ressemblance, mais de façon imparfaite, avec l’élément qui précède.

C’est en 1948 que sera mis au point le procédé de photographie à développement instantané, d’abord en noir et blanc, puis en couleur à partir de 1963. La légende veut que ce soit la fille de 3 ans d’Edwin H. Land, ne comprenant pas qu’il faille attendre aussi longtemps le développement d’un cliché, qui lui donne l’idée d’inventer un appareil photo instantané. Cette première mondiale transformera l’entreprise.

Edwin H. Land, l’inventeur du Polaroid. // Source : Flickr/CC/Steve Harwood

Le procédé, destiné au grand public, trouve aussi une utilisation assez développée dans le domaine médical, et auprès des photographes professionnels, qui adaptent des dos recevant les films polaroid sur leur caméra pour tester l’éclairage et le cadrage de leurs photos argentiques. Les plus grands noms de l’art, de la mode ou de la photo l’adopteront, tels Andy Warhol, Karl Lagerfeld, Helmut Newton… Le Polaroid fait même plusieurs fois la une de Time Magazine, qui le sacre élément de pop culture dans les années 1980.

Le procédé sera tellement associé à Polaroid, que le nom est devenu une antonomase. On parle d’un Polaroid comme on parle d’un K-Way, d’un Caddie ou d’un Frigidaire. Mais d’autres marques produiront des appareils et des films instantanés. Le japonais Fujifilm produira des appareils (Instax et Fotorama) mais surtout des films compatibles avec le matériel utilisant le format film-pack de Polaroid (un peu comme aujourd’hui des marques de café produisent des capsules compatibles Nespresso). Et dans les années 1980, la firme Kodak produira aussi brièvement sa propre ligne d’appareils instantanés (EK4 et 6) et ses films dans un format dédié, avant de perdre une bataille de brevets contre Polaroid en 1986.

Polaroid6

Polaroid 95 Land Camera

Le Polaroid SX-70 (1972)

Polaroid OneStep (1977)

Le premier modèle sera le 95 Land Camera. Mais c’est surtout dans les années 70 que la marque connaitra son véritable essor, d’abord avec le SX-70 en1972, et surtout le One-Step en 1977.

En 1974, la société Polaroid estime à un milliard le nombre de photos réalisées avec le SX-70 et commence même alors à concurrencer Kodak. En 1977, Polaroid lance aussi la Polavision, un procédé révolutionnaire permettant de réaliser des films 8 mm à développement instantané, qui sera vite dépassé par l’essor de la vidéo.

Difficile d’avoir toujours un temps d’avance dans cet univers. Le Polaroid et ses films onéreux tombent en désuétude avec la percée de la photographie numérique. La Polaroid Corporation se déclare alors une première fois en faillite en 2001. Malgré la restructuration de l’entreprise, Polaroid se retrouve de nouveau en faillite 7 ans plus tard. En juin 2009, la marque renait à nouveau : une entreprise danoise, autour d’un autrichien et deux néerlandais, veut faire revivre la production. Son nom : The Impossible Project.

Le défi est compliqué car tout, ou presque, a disparu. Pour 180 000 euros, ils reprennent le bail de la dernière usine, 14 000 m2 situés dans la petite ville d’Enschede, au Pays-Bas. Y sont encore entreposées quelques vieilles machines importées de Boston, seules capables de fabriquer les fameux films argentiques. Ils rachètent aussi le stock de pellicules restantes, qu’ils revendent immédiatement pour financer la remise en état des outils de production. Ils sont aidés d’une dizaine d’anciens ingénieurs de Polaroid ou salariés de l’usine qui ont gardé la mémoire du procédé de fabrication. La difficulté est que la formule chimique pour fabriquer le révélateur a disparu, ou n’existe que de façon parcellaire, au détour de brevets et de carnets manuscrits. Certains composants ne sont même plus fabriqués et d’autres ne répondent pas aux nouvelles normes environnementales européennes. Réapprendre à fabriquer des films en noir et blanc nécessitera deux ans, et un an de plus pour la couleur.

Tout cela explique le prix assez exorbitant des films : environ 19 € pour un pack de 8 photos, soit plus de 2 € le cliché. Mais les fans répondent présents et la commercialisation des pellicules reprend en 2010. Quelques produits verront aussi le jour, comme des appareils photos à imprimantes intégrées ou des imprimantes bluetooth (Polaroid Pago) directement reliées à son téléphone portable. Au CES de Las Vegas en janvier 2013, la marque présentera même l’iM1826, le prototype d’un appareil photographique hybride fonctionnant sous système Android, mais qui sera interdit à la vente à cause d‘une action en justice de Nikon pour contrefaçon.

A cette période, Oskar Smolokowski, un jeune ingénieur de 22 ans issu d’une riche famille polonaise ayant fait fortune dans le commerce d’hydrocarbures, vient juste de s’installer à New York après deux ans d’études d’ingénierie mécanique à Londres. Il entend parler du projet et des besoins d’investissement. Il convainc son père industriel, Slawomir Smolokowski, de devenir l’un des associés de l’aventure « Impossible », qu’il reprend même à hauteur de 100 % en mai 2017. The Impossible Project devient alors Polaroid Originals et le fils Oskar, à seulement 27 ans, prend la tête de l’activité photo.

Aujourd’hui, Polaroid Originals commercialise plusieurs types d’appareils photo instantanés, des plus vintage aux plus modernes, comme le OneStep2 (réédition plus performante de l’iconique OneStep de 1977) et le OneStep+, dont des réglages manuels (peinture de la lumière, contrôle de l’appareil avec déclencheur à distance, retardateur…) pouvaient pour la première fois être effectués via une application. Même si l’entreprise connaît une forte croissance de ses ventes en Europe et aux Etats-Unis, elle doit se contenter de 5% de parts de marché, face au leader, le Japonais Fuji et son Instax (90 % du secteur).

La marque a célébré le passage à 2020 avec un nouveau produit, Now. Pour l’occasion, Polaroid Originals redevient Polaroid, tout court, avec une identité visuelle modernisée, reprenant l’arc-en-ciel et les cinq couleurs de la marque : rouge, orange, jaune, vert et bleu.

Imparfait mais magique, voici comment on pourrait résumer Polaroid. Ce procédé de photographie instantanée, où la photo ne se dévoile qu’après de longues minutes d’attente, d’espoir et de craintes, fait toujours son petit effet, même à l’heure du cliché illimité sur smartphone, des stories et des filtres à tout va : « A chaque fois qu’on appuie sur le déclencheur d’un de nos appareils, c’est la roulette. On ne sait jamais quel effet on va obtenir. C’est ce qui fait la différence avec la concurrence, où le résultat est fiable, prévisible. Quelque part, cette incertitude est notre force. La photo peut être ratée, mais quand elle est réussie, il y a ce frisson de magie qui est unique. On ne sera jamais numéro un, mais Polaroid peut encore inspirer, comme il l’a fait entre les mains d’Andy Warhol, d’Helmut Newton, de Robert Mapplethorpe ou de David Hockney », selon Oskar Smolokowski. L’instantané va peut-être se réinscrire dans la durée…