La crise fait-elle apparaître un nouveau variant français de la communication des marques ?

Jean-Paul Sartre disait que « le faire est révélateur de l’être ». Le comportement des marques en cette période de crise sanitaire de 2020 est souvent révélateur de leur personnalité et de leurs forces ou de leurs faiblesses dans leur stratégie de prise de parole.

La question de fond est : comment trouver la bonne posture, comment réussir à parler juste lors de crises brutales totalement exogènes ?

Dans un premier temps, lors du premier confinement de 2020, on a pu assez naturellement observer une période de désarroi de la plupart des annonceurs, dont beaucoup ont suspendu tout investissement média, même par exemple Coca-Cola qui s’est pourtant construit essentiellement sur la communication.

D’autres marques se sont dit que c’était l’occasion d’être plus proches de leurs publics, certaines sur le terrain de l’intérêt général (« restez chez vous », « respectez les gestes barrières »), d’autres sur le terrain de la vie quotidienne.

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Après 23 jours de confinement, les français ont semblé vouloir profiter du climat printanier. Au vu du relâchement, les règles se sont donc endurcit dès le mercredi 8 avril, notamment envers les joggers. Google encourage alors sur sa homepage à rester à la maison.

D’autres marques, tel Guinness, encouragent le respect du confinement à leur manière (ici avec un canapé crème en guise de mousse).

C’est le cas aussi de la marque de préservatifs Skyn.

Au-delà de ces messages ponctuels et opportunistes, les marques ont dans un second temps déployé des communications plus construites, en lien (dans le meilleur des cas) avec leur positionnement et leur territoire de prise de parole.

Ainsi Free a lancé une campagne vidéo en quatre épisodes intitulée « Les Voisins », en déclinant des thèmes tels que l’éloignement, la solitude, ou la solidarité. Dans l’une des scènes, on entend notamment, sans les voir, deux voisins discuter : « Je me disais, c’est drôle qu’on ne se rencontre que maintenant. » Après un échange de numéros pour « éviter de parler de balcon à balcon », le slogan de la marque est détourné et transformé en : « Free, ils restent chez eux, ils ont tout compris ».

Orange, pour sa part, a lancé l’opération #Onresteensemble qui permet l’envoi de messages vidéo, à destination de grands-parents par exemple, diffusés durant les créneaux de publicité d’émissions à grande écoute.

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On peut aussi bien sûr évoquer tous les messages louables, mais un peu contestables car opportunistes, de dons et de solidarité. Maison du Monde a ainsi fait savoir qu’elle avait mis en place des dons aux personnels des hôpitaux des produits de décoration et de mobiliers et l’entreprise s’est engagé également contre la lutte contre les violences conjugales faites aux femmes et enfants. Adidas a organisé une vente aux enchères en ligne dont l’intégralité des fonds ont été reversés au profit de la Fondation Hôpitaux de Paris – Hôpitaux de France (soignants, patients et EHPAD). Au total, 57 lots dédicacés par de grands sportifs. Ou encore Leboncoin a invité à la solidarité avec une campagne intitulée #lebongeste. Des offres bénévoles ou payantes de particuliers étaient proposées pour venir en aide aux personnes fragiles ou vulnérables.

Intermarché, qui a fait de la communication compassionnelle sa marque de fabrique depuis quelque temps, n’a pas manqué, la première semaine de confinement, de placer des remerciements appuyés « à tous les héros discrets ». On aimerait parfois juste que la discrétion soit partagée…

Pour revenir à des exemples plus utiles pour les clients et plus en phase avec les territoires des marques, on peut citer L’Oréal qui a proposé les services d’experts pour aider à faire sa coloration à domicile, ManoMano qui a lancé un service d’aide personnalisée en cas de dépannage d’urgence, La Redoute qui a proposé des activités créatives pour occuper les enfants, ou encore Nike qui a mis en défi l’internaute de jouer contre Ronaldo via une application Living Room Cup.

Décathlon a lancé le 27 mars une campagne de pub TV à partir d’une vidéo amateur qui a fait le buzz sur les réseaux (la vidéo d’origine montre de façon humoristique la pratique détournée de sports en intérieur). En reprenant la vidéo, Décathlon est parvenu de façon décalée à promouvoir son application gratuite pour encourager les gens à pratiquer une activité sportive, sans sortir de chez soi. La communication était relayée sur la homepage avec la création d’une nouvelle catégorie de produits « Sport à la maison » et tout en rassurant que la livraison reste disponible pendant la période de confinement.

Dans un registre moins grand public, Repetto a proposé pendant le confinement des cours de Fit Ballet, avec une campagne relayée sur Instagram (message cohérent avec les valeurs de la marque sans être promotionnel).

Et à la sortie du premier confinement, des marques ont trouvé le ton juste pour célébrer la liberté retrouvée (dont on ne savait pas à l’époque qu’elle serait provisoire). Cela a été le cas de Décathlon, encore une fois, qui a célébré le « déconfinement du 11 mai » avec un hymne à la nature et à tous les terrains de jeu en extérieur, à travers le film « le monde est notre terrain de jeu ».

Cultura, fidèle à sa vocation de rendre la culture accessible et de décliner les passions culturelles et créatives, a aussi pris la parole pour célébrer la fin du confinement avec un film qui a capturé les traces de cultures laissées par les propriétaires de balcons pendant cette période et transmettait le message d’espoir à voir « le retour rapide de la culture sur toutes les scènes ».

Une autre marque, Célio, que l’on attendait moins, a aussi rebondi sur son territoire de marque, qui vise à mettre en avant une mode hommes plus affirmée, où chacun peut exprimer sa personnalité, avec un accent sur la liberté plutôt que sur le style. Le film « A tous les mâles », où Célio souhaitait un « bon retour dehors ! », restait un clin d’œil ponctuel, mais donnait du corps à la prise de parole générale de la marque.

Lors du deuxième confinement, on a à nouveau vu des opérations de communication évènementielle et parfois originale, comme Burger King qui militait pour le soutien aux restaurateurs, y compris son concurrent direct.

Quelques jours après, Intermarché tentait de reprendre le principe, en se faisant le chantre du commerce de proximité, et avec un ton moins confraternel pour son lointain concurrent Amazon.

Dans le même esprit confraternel que Burger King, mais sur une thématique plus générale, Carrefour a mis récemment sur le devant de la scène un de ses principaux concurrents.

Sommes-nous en train dans ce contexte de crise et peut-être de prise de conscience de voir apparaitre un nouveau variant français de la communication ?

Parmi les autres messages surfant sur l’actualité, lors du deuxième confinement, on a pu repérer notamment les affiches en magasin de Monoprix.

Ou encore la campagne de communication plutôt maline de Pierre & Vacances :

Des marques comme Danette se sont souvenu de leur slogan (« on se lève tous pour Danette ») et ont créé en décembre une scène ouverte sur la page instagram de la marque pour les stand-uppers qui ne pouvaient plus officier dans les théâtres.

D’autres initiatives ont en revanche créé la polémique, en particulier celles qui osaient toucher au sacro-saint Père Noël. Ainsi Innocent, la marque de jus de fruit, a présenté sur Twitter une vidéo assez ratée avec un Père Noël en combinaison pour faire face au coronavirus.

L’humour est parfois dangereux. Surtout, le contexte rend le message plus ou moins audible. Dans un tout autre genre, la marque Longchamp a eu la malencontreuse idée de maintenir le lancement d’une campagne internationale en plein début de deuxième période de confinement, sans doute poussée par son agence de publicité trop fière de pouvoir annoncer cette opération en grandes pompes. On a ainsi vu un film de 8 minutes présentant des femmes parisiennes bourgeoises et oisives, assez loin d’ailleurs des valeurs originelles de Longchamp, mais probablement formaté pour les clientèles chinoises. Un film mièvre qui serait passé totalement inaperçu s’il était sorti à un autre moment.

La communication de crise n’est pas chose aisée. La communication de marque en période de crise non plus.