Yuma a accompagné Safran Data Systems dans l’architecture de marque de ses antennes et dans le design de son antenne star, Vision, qui a été récompensé par le Janus du design industriel (prix d’excellence).
Safran Data Systems est un discret leader mondial des antennes spatiales, rivalisant avec des concurrents principalement américains comme ViaSat et CPI, et proposant une gamme d’antennes allant jusqu’à 20 m de diamètre. La plus grande antenne de la gamme, servant aux missions lointaines (Lune, Mars), dans ce qu’on appelle le deep space, est l’Orion. Pour les constellations de satellites de télécommunication (téléphone, internet), comme la constellation Starlink d’Elon Musk, l’antenne de la gamme s’appelle Légion ; elle est également adaptée au projet de constellation européen Iris Square. Quant à l’antenne Vision, vendue à toutes les agences spatiales du monde et opérateurs de service d’imagerie spatiale, elle permet de surveiller l’espace, observer la terre, analyser la météo, la hauteur des océans, la fonte des glaciers, etc.
Comme le rappelle Noël Barreau, directeur général des activités Space & Communication de Safran Data Systems, l’entreprise « fournit tous les systèmes au sol qui permettent de communiquer avec ces sondes qui sont dans l’espace. (…) Et sur ce type d’antennes (la Vision), Safran est leader mondial. »
Les antennes Vision contribuent à tous les programmes d’observation de la terre en communiquant avec des satellites géo-défilants, en orbite basse (entre 400 et 1200 km d’altitude). Leur implantation optimale est donc au pôle sud ou au pôle nord, où les contraintes sont très fortes (avec des températures jusqu’à -55 degrés). Le design pouvait donc ne pas sembler le sujet prioritaire… D’autant que les spécifications sont très complexes, avec des algorithmes d’asservissement particuliers pour le suivi des satellites. Car contrairement à une antenne TV posée sur un toit, l’antenne Vision doit être extrêmement mobile pour suivre des satellites dans l’espace de façon très précise. « C’est comme suivre un oiseau qui s’envole avec des jumelles de très fort grossissement » explique Noël Barreau. « Il fallait donc rassurer aussi sur le fait que le design n’allait pas compromettre toutes ces spécifications complexes et les performances du système. »
La motivation première, c’est donc le design comme voix de l’innovation et de la technologie, pour promouvoir et exprimer la performance technologique du produit. Car l’antenne joue aussi symboliquement un rôle essentiel : elle est le marqueur de tout l’écosystème qui lui, de fait, se trouve dans l’espace et ne se voit vraiment pas. Symbole de l’activité spatiale, l’antenne est donc, en soi, un outil de communication : lors des inaugurations de nouvelles stations spatiales, ce sont souvent les antennes au sol que l’on dévoile.
Au final, devant le jury du Janus, Noël Barreau s’est félicité du succès commercial de la nouvelle antenne : « On vendait quatre ou cinq systèmes par an. Et aujourd’hui on est à plus de 20, notamment à la Space Development Agency aux Etats-Unis. Le design, associé à la technologie, a eu un impact marquant. »
Parmi les nouveautés qui sont apparues sur cette nouvelle génération d’antennes, on peut citer le recours à des réflecteurs en carbone pour alléger la structure ; les algorithmes ont dû être modifiés pour tenir compte de la plus grande légèreté de la structure, car plus c’est léger, plus c’est compliqué d’être hyper-précis dans le suivi des satellites. À l’intérieur de l’antenne, il y a une mécanique très sophistiquée et notamment un système d’aération et de climatisation ou de chauffage très complexe car les ordinateurs doivent être maintenus à température constante ; ils étaient avant positionnés à côté de l’antenne et ont été réintégrés au plus près de la parabole, pour une efficacité optimisée. Le nouveau design a permis de supprimer toutes les pièces rapportées, qui ont donc été intégrées dans les bras de l’antenne pour en faire un système monolithique (un peu comme Apple pour les ordinateurs).
De la lumière a également été intégrée dans l’antenne. « On a mis des réseaux de led sur la station, prolongés jusqu’à la source de l’antenne (l‘élément qui rayonne). Et on l’a choisi de couleur bleue pour faire référence à un des processeurs situés à l’intérieur qui exploite le signal électrique, qui s’appelle le Cortex (qui reçoit et analyse les signaux) et qui a cette couleur ; c’est aussi la couleur de la marque Safran ».
Le point de départ : l’ancienne génération
Les principes du design de la nouvelle génération
La mise au point technique
Selon Noël Barreau, c’est la première fois au monde qu’une antenne est véritablement conçue avec une approche design. C’est ce qui a d’ailleurs enthousiasmé le designer Laurent Vincenti : « C’était un projet passionnant car une première mondiale de dessiner une antenne de ce gabarit. Le travail avec les ingénieurs a été très harmonieux, chacun découvrant finalement le métier de l’autre. Et dans ce domaine de la haute technologie, on a affaire à des cadors. Le respect des contraintes de chaque expertise a permis d’obtenir le meilleur ». Laurent Vincenti, qui s’est spécialisé dans le brand design, a aussi une longue expérience en tant que designer produit. Il a d’ailleurs fait ses armes pendant 15 ans auprès de Roger Tallon (de la mythique machine à écrire Japy Style au TGV en passant par son fameux escalier hélicoïdal ou le Teleavia Portavia) et Pierre Paulin (qui a notamment reçu le prix Janus de l’industrie pour le siège 800 de Stamp en 1985). « Pour ce travail, je me suis inspiré d’éléments très divers comme les coques de catamarans, les lunettes 3D, les chemins de led des véhicules électriques ou le marquage des fusées. L’antenne est bourrée de contraintes technologiques ; c’est très intéressant de dessiner dans ce contexte car il faut faire de chaque obstacle une opportunité́ pour améliorer l’aspect de l’antenne. C’est un véritable travail de design global ».
Pour Anne-Marie Sargueil, présidente de l’Institut français du design*, « Safran nous a donné l’opportunité de découvrir une réalisation qui fait partie des candidatures les plus inspirantes que le jury des Janus ait eu à juger, avec la science et la technologie au plus haut niveau ; un niveau technologique tellement haut que l’on a rarement eu l’occasion de voir une démarche comparable de toute l’histoire des Janus. (…) La France peut se féliciter d’une véritable réussite commerciale made in France, où l’alliance design / ingénierie a été un vrai succès ». Pour elle, « le duo designer / ingénieur a fonctionné à merveille ; c’est cette unité qui fait les grandes réussites ». Anne-Marie Sargueil poursuit en rappelant que « la puissance du design, c’est la transversalité. Par ce projet, on se rend compte que le design contribue à une culture commune. Et c’est quoi une entreprise, sinon de l’affectio societatis ».
* Depuis 1951, l’Institut Français du Design met en avant des produits et services qui privilégient le respect de l’utilisateur et de son environnement. Son but est de promouvoir l’éthique professionnelle dans une économie de marché. Le Janus de l’Industrie est un label créé par arrêté ministériel le 13 novembre 1953, placé sous le haut patronage des ministères de l’Industrie, du Commerce et du Commerce extérieur ; il contribue à promouvoir l’investissement dans le design et sa transformation en avantage concurrentiel. Les jurés diagnostiquent les produits-phare, ceux qui constituent une synthèse éloquente de critères fonctionnels, techniques et esthétiques, au croisement de l’économie et des sciences humaines.