La marque, âme de recrutement

La table ronde organisée par Le Cercle du branding en partenariat avec l’Observatoire Com Media avec les partages d’expérience de La Marine Nationale (Etienne Baggio), Saint-Gobain France (Virginie Chevriot), Orano (Jean-Baptiste Guillerme), Métro France (Sylvie Hadjazi) et Ikea France (Benoit Thiebe) a permis de rappeler à quel point la marque est au centre de la capacité d’attractivité des entreprises.

Cette Matinale consacrée à la problématique de la marque employeur a montré que quelle que soit l’entreprise, son histoire, son image, elle est toujours fondamentalement confrontée à un enjeu de lisibilité et d’émergence. Et c’est bien la marque, à travers sa vision, sa culture, ses valeurs, son état d’esprit, qui devient le ciment de l’attractivité et de l’engagement.

La Marine nationale fait partie des trois corps d’armée et bénéficie donc a priori d’un niveau de connaissance que l’on pourrait penser suffisant pour recruter, mais en réalité Etienne Baggio, responsable du marketing de recrutement, a bien montré qu’on ne savait pas toujours très bien ce qu’il y avait dernière l’institution.

Depuis 4 ans la Marine Nationale a donc totalement « repensé son positionnement identitaire » et se pense aujourd’hui comme une marque. Pour passer d’une institution à une marque, il a fallu « sortir de la simple communication publicitaire pour travailler les fondements de la marque » et développer des messages spécifiques. Avant de s’engager dans cette stratégie de marque employeur, la Marine nationale n’arrivait pas à atteindre ses quotas de recrutement.

Le travail a en particulier consisté à sortir des clichés et s’éloigner des grandes valeurs traditionnellement associées à la Marine Nationale comme le patriotisme, la discipline, l’ordre, pour développer un discours davantage centré sur la « valeur employeur », avec des promesses plus parlantes pour les candidats comme la considération et le salaire, la formation et l’apprentissage, la diversité des métiers et la possibilité d’évolution de carrière. Les candidats, par nature jeunes, « doivent pouvoir avoir des réponses à des demandes concrètes sur l’emploi ».

Mais si « le recrutement c’est savoir plaire, c’est aussi savoir sélectionner » ; « il faut aussi accepter d’être exigeant avec les candidats », et savoir affirmer une certaine culture, un certain état d’esprit, qui sera le quotidien du marin une fois engagé. Pour intégrer La Marine nationale, il faut partager « un esprit d’équipe, une culture d’équipage, un sens du collectif ; l’individualisme n’a pas sa place ». Il faut partager un « véritable attrait pour la mer, une certaine fascination pour les océans » ; « même si nous naissons tous terriens, on ne peut pas choisir la Marine nationale si on veut rester à terre ». Enfin, il faut avoir le sens de l’aventure, la soif des voyages, « avec des périodes d’éloignement qui peuvent parfois durer plusieurs mois ». Concevoir un discours de marque employeur, c’est aussi savoir être ferme sur les fondamentaux et avoir un discours clair et authentique.

Saint-Gobain est un groupe créé depuis 1665. Mais c’est un groupe multiple, diversifié, avec des activités dans la conception et la fabrication de matériaux de construction (Isover, Placoplatre, Weber…) et dans la distribution (Point P, La Plateforme du bâtiment, Cédéo…).

Virginie Chevriot, responsable marque employeur et politique jeunes, a témoigné aussi des difficultés qu’il y avait à être lisible et à émerger dans ce contexte. « Saint-Gobain regroupe plus d’une centaine de marques ». « Il y a 45 000 collaborateurs en France, avec des métiers multiples » : ingénieurs, techniciens, commerciaux, magasiniers, chauffeurs, informaticiens, data scientists, etc. « Saint-Gobain recrute en France plus de 3 000 CDI chaque année (plus des alternants, des stagiaires, etc.) et a donc besoin de développer un discours de marque lui permettant d’attirer la diversité de tous les profils nécessaires ». Saint-Gobain met aussi en place une politique collaborateurs qui permet d’entretenir la relation et de privilégier la fidélité. D’une façon générale, la difficulté est de réussir à valoriser la diversité des opportunités et la richesse d’un groupe polymorphe aujourd’hui fortement engagé dans des projets environnementaux et l’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Pour développer sa notoriété auprès des jeunes, a ainsi été lancée il y a quelques années la Saint-Gobain Football cup (une coupe de France universitaire). Des actions de communication sur Instagram ou Tik tok ont également été mises en place, notamment pour pallier « la faible connaissance d’un groupe essentiellement BtoB auprès du grand public et de la cible jeune en particulier ».

Orano est une marque jeune, créée en 2018. L’enjeu d’émergence pour recruter est donc d’autant plus important, surtout que l’industrie aujourd’hui attire moins de manière générale, et plus particulièrement encore le nucléaire qui a été perçu jusqu’à récemment comme un secteur peu séduisant. Jean-Baptiste Guillerme, directeur marketing digital, a développé la stratégie mise en place dans un contexte de relance du nucléaire avec l’enjeu de répondre à des besoins de recrutement élevé (la filière doit en effet recruter 10 000 personnes par an, et Orano 2 500 personnes par an). « L’enjeu est donc de développer un discours de marque employeur susceptible d’attirer les talents ». Orano est ainsi « la première marque B2B à avoir axé sa stratégie sur TikTok » ; c’est une façon d’aller « chercher les jeunes là où ils sont, en utilisant leurs codes de communication ». « Plus de 150 formats vidéo ont été créés depuis 18 mois, et la chaîne d’Orano a fait des millions de vues et des centaines de milliers d’engagement ». Le pari a été de développer un discours sur le nucléaire décomplexé, avec des vidéos très pédagogiques et explicatives, quitte à subir au début un nombre important de commentaires négatifs. Mais ce discours de vérité, didactique, fait son chemin. « Il est fondamental dans la durée d’être authentique et de dire la vérité ».

Parallèlement à cette stratégie de communication, l’accent a été mis en interne sur l’évolution vers une entreprise à vivre, en donnant avant tout du sens au métier (la signature de marque est « Donnons toute la valeur au nucléaire »), tout en développant des piliers sur les plus-values en termes d’employabilité (entreprise apprenante, progression salariale, etc.).

Pour le recrutement, « la plateforme digitale carrière a été totalement refondue pour avoir une expérience simplifiée de la candidature qui peut désormais se faire quasiment en un clic ».

Aujourd’hui, c’est ainsi plus de 100 000 CV qui sont reçus chaque année contre 30 000 auparavant.

Métro, qui s’adresse aussi en France à des clientèles professionnelles, a également déployé une politique de marque employeur ambitieuse. Il y a un vrai enjeu de notoriété et de clarification de l’image. Comme le dit Sylvie Hadjazi, responsable de projet marque employeur et marketing RH, « peu de gens savent que plus de 2 chefs étoilés sur 3 sont des clients Métro, que l’on travaille beaucoup aussi avec des producteurs locaux, ou que nous avons développé une charte Origine France en associant les filières agricoles ».

Métro a une image de grossiste, mais c’est 9 300 collaborateurs avec une centaine de halles dans toute la France et plus de 300 métiers différents. La politique marque employeur consiste à faire connaître davantage la réalité de l’entreprise et la diversité de ses métiers autour de la thématique « Révélez le M qui est en vous ». « C’est d’autant plus important pour une entreprise qui est réservée à des professionnels et dont les candidats potentiels n’ont donc pour la plupart jamais eu l’occasion d’avoir une quelconque expérience avec la marque ».

En quelques années, Métro est passé d’une « culture de gestionnaire » à une « culture de commerçant » et même aujourd’hui à une « culture de commercial ». « Une académie des ventes a été ouverte pour aider à chercher des collaborateurs dans les métiers en tension de l’extra frais » et, par ailleurs, la marque va jusqu’à « accompagner ses clients restaurateurs pour leur propre recrutement en organisant des sessions de job dating dans les points de vente ».

Autour des piliers de la passion, de l’engagement et de l’authenticité, l’autre enjeu est de fidéliser et faire baisser le turnover (aujourd’hui à 20%) et finalement de « passer de la raison d’être à la raison d’en être ».

En tout cas, c’est plus de 300 000 CV qui ont été reçus en 2023.

Ikéa est une marque connue pour valoriser les produits simples, fonctionnels, design et accessibles. Sa raison d’être est d’« améliorer le quotidien du plus grand nombre ». En fait, même pour une marque comme Ikéa, Benoit Thiebe, responsable talent acquisition et marque employeur, est confronté au fait que finalement « les gens ne savent pas ce qu’il y a derrière ce nom en termes d’employabilité ».

Ikéa France, c’est 12 000 collaborateurs, des dizaines de magasins, des points logistiques, un centre de relation client… « Ce sont plus de 360 métiers, souvent peu identifiés : architectes d’intérieur, logisticiens, préparateurs de cuisine pour les restaurants en magasin… ».

Même quand on est une marque connue, qui peut bénéficier d’un attachement fort, elle a peu de contenus en termes de marque employeur et il faut déployer une stratégie de communication, notamment avec la chaine YouTube et les nombreuses vidéos métiers. « L’objectif est de faire des collaborateurs des ambassadeurs de la marque » et des pédagogues de leur métier. La promesse de marque employeur d’Ikea est d’ailleurs : « Faisons du travail bien plus qu’un emploi ».

Pour le recrutement de talents comme pour l’acquisition des clients, les marques rencontrent des difficultés et construisent des stratégies innovantes, basées sur la diversification des canaux et l’utilisation du digital. Surtout, elles doivent chercher à affirmer une promesse de marque claire, lisible, authentique. Tous les intervenants ont insisté sur, d’une part, la nécessaire symétrie des attentions et l’importance de l’alignement entre la communication externe sur la marque employeur et la réalité vécue en interne, gage d’absence de frustration et de fidélisation sur la durée, et, d’autre part, le besoin de transversalité entre marketing, communication et RH, avec l’importance d’avoir une seule marque, unique, sincère, cohérente.

Le marketing intègre dans ses fonctions des directions de l’expérience client ; le management de la marque employeur verra se généraliser des directions de l’expérience collaborateurs et de l’expérience candidats.