Décathlon va-t-il rester dans son couloir ?

Conférence de presse en grande pompe pour annoncer que Décathlon veut concourir dans une autre catégorie.

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Barbara Martin Coppola, directrice générale du groupe Decathlon depuis 2022, a voulu laisser sa marque. C’est son premier poste de direction générale, après avoir commencé sa carrière chez Texas Instruments, être devenue ensuite responsable du marketing chez Samsung, avoir occupé divers postes chez Google, être nommée responsable mondial du marketing produit chez YouTube puis Chief Marketing Officer de l’entreprise de livraison de repas à domicile GrubHub à son siège de Chicago, et, enfin, avoir rejoint Ikea en 2018 comme responsable de la stratégie numérique du groupe.

C’est donc à l’américaine qu’elle a orchestré le renouveau de Décathlon lors d’une conférence de presse en anglais qui s’est tenue le 12 mars 2024. Nouveau logo, arborant désormais un symbole un peu passe-partout (cf les logos Asics, Boeing, Coyote…) ; nouvelle signature de marque (Ready to play?) ; nouvelle raison d’être (Move People Through the Wonders of Sport, naïvement traduite par Faire bouger l’Humanité grâce à la magie du sport) ; portefeuille de marques recentré (Quechua / montagne, Tribord / eau et vent, Rockrider / cyclisme en extérieur, Domyos / fitness, Kuikma / raquette, Kipsta / sports collectifs, Caperlan / nature, Btwin / glisse urbaine et mobilité et Inesis / sports de précisions) ; sur la forme, il y avait à l’évidence la volonté de changer de braquet.

En réalité sur le fond, la philosophie semble rester la même. Et c’est tant mieux. Celine Del Genes, directrice de l’expérience client, rappelle la vision d’un sport « qui est bien plus que la pression et les résultats ; il ne commence jamais avec une médaille d’or, il doit commencer et finir dans la joie ; on veut qu’il soit positif, optimiste, pas seulement impossible ».

Depuis l’origine, Décathlon s’est en effet développé en prônant un sport plaisir accessible à tous, contre-pied d’un sport de spécialistes, élitiste et technique, à la recherche de la seule performance. Son créateur, Michel Leclercq, cousin germain de Gérard Mulliez, fondateur de l’empire et créateur d’Auchan, décide en 1975, après un voyage aux Etats-Unis, de créer un magasin de sport pour toute la famille. Il était alors en charge des achats et de l’informatique d’Auchan. Et c’est le 27 juillet 1976, dans la zone commerciale Auchan à Englos, près de Lille, qu’ouvre la première grande surface de vente d’articles de sport en libre-service. C’est pour contourner la difficulté à s’approvisionner auprès des équipementiers et des centrales d‘achat que l’enseigne s’est muée, à partir de 1986, un peu par la force des choses, en fabricant de produits. En assurant la conception et la fabrication d’articles signés Decathlon, l’enseigne devient donc aussi une marque distributeur. Et c’est encore 10 ans après (en 1996) que sont créées ses deux premières marques propres, Tribord pour les sports aquatiques et Quechua pour les sports nature /montagne. Viendra ensuite B’Twin (vélos) en 1999. Au final, il paraît que le portefeuille de marques en aura compté jusqu’à 80.

Le modèle économique est en tout cas devenu très atypique. Decathlon n’est plus depuis longtemps un simple distributeur, mais n’est pas non plus totalement une marque-enseigne, puisque 30% du chiffre d’affaires continuent de se faire sur des produits externes (Nike, Adidas…).

La raison d’être de la marque était jusque-là incarnée à travers sa signature internationale : All for sport. Sport for all. Le but affirmé était de « rendre durablement le plaisir et les bienfaits de la pratique des sports accessibles au plus grand nombre ». La tente Quechua 2 seconds a permis à des néophytes de s’improviser campeurs, comme le masque-tuba Easybreath permet de respirer normalement sous l’eau et de s’improviser snorkeler. Decathlon veut faire tomber toutes les barrières qui limitent l’accès au sport et ne cesse donc d’imaginer des produits et services sportifs innovants, malins et pratiques qui ont pour vocation de « Faire bouger le sport » (la précédente signature de marque). Mû par l’idée que « le sport rend le monde meilleur », le combat de la marque Décathlon est donc celui du sport plaisir vs le sport compétition, du sport pour tous vs le sport professionnel, du sport facile vs le sport technique, de la décontraction vs la compétition, de l’esprit de convivialité vs le dépassement de soi. Une ligne stratégique claire, qui n’avait jamais dévié.

Espérons que le récent accès de mégalomanie restera passager et ne marque pas le début d’une recherche de premiumisation ou d’une dérive vers une « nikisation ». La force de Décathlon a toujours été de ne jamais avoir pris la grosse tête, en restant strictement sur le sport de tous les jours, avec des produits fonctionnels, sans valeur émotionnelle autre que le plaisir d’usage. En prenant justement le contre-pied des grandes marques internationales, comme Nike ou Adidas, aux discours axés sur la compétition et la performance, Decathlon incarne (souvent de façon décontractée et décalée en communication) un sport démocratisé, rassemblant toutes les activités, du vélo à la pêche, et s’adressant à toutes les cibles, familles et jeunes, amateurs et passionnés. Une marque human centric, et non pas champions centric. C’est ce qui en a fait une des marques préférées des français. Espérons donc que Decathlon continuera de rester à hauteur d’homme.