Au-delà de rendre prétentieux, le leadership rend souvent aveugle. C’est notamment vrai pour les pionniers…
A l’heure où le monde accélère, il ne fait plus bon pour une marque d’être pionnier ou même leader sur son marché. Cette position a en effet plutôt tendance à figer, à empêcher les évolutions, à louper les virages stratégiques.
Est-il utile de rappeler le cas de Kodak, inventeur du négatif en 1884 et longtemps leader incontesté de la photographie argentique, qui a inventé dans ses laboratoires la photo numérique en 1975 et déposé 3 ans plus tard le premier brevet d’un appareil numérique avec capteur CDD ? A force de reporter une prise de décision qui aurait, de fait, saboté sa technologie maîtresse (l’argentique), Kodak n’a jamais pris le virage digital et a fini par sombrer.
Ce cas n’est pas une exception. La position de leader et de pionnier est souvent aveuglante, ou paralysante. Kodak en avait déjà fait l’expérience en refusant en 1945 les plans d’une photocopieuse dotée d’un processus révolutionnaire à un certain Chester Carlson qui fondera 3 ans plus tard Xerox. Rebelote en 1950 en refusant le projet d’un ingénieur venu lui présenter le procédé de photographie instantanée… qui deviendra le Polaroid.
Le concept de destruction créatrice cher à Schumpeter n’a jamais été autant d’actualité. IBM, Thomson, Nokia, Napster, Yahoo, Regus,… Combien de pionniers ont disparu ou subi des crises existentielles radicales ?
Le cas des taxis G7 en est une illustration. Il aura fallu attendre 2016 et une crise majeure après la montée des VTC, uber en tête, pour que l’entreprise reprenne l’initiative et se remette dans le marché. Pour rappel, G7 est l’émanation de la Compagnie française des automobiles de place, créée en mars 1905, qui reprendra quelques années plus tard le nom de la lettre (G) et du chiffre (7) attribuée par la préfecture de Paris lors de l’immatriculation des véhicules. Pionnier et leader, inventeur du premier central radio en 1964 mettant en relation les demandeurs et les chauffeurs, la société s’est longtemps assise sur sa position dominante, à l’instar de l’ensemble des taxis parisiens. Ne s’étant pendant longtemps pas adaptée à l’évolution du marché et des attentes de la clientèle, elle a permis l’émergence de nouveaux acteurs qui ont failli la faire définitivement disparaitre. Le sursaut récent, proche de l’instinct de survie, permet finalement à G7 de replacer sur le marché et se comporter comme une « vraie » marque, davantage soucieuse de ses clients.
Et si Apple, marque hégémonique par excellence, qui n’hésite pas pour le moment encore à pratiquer des prix indécents et imposer à ses consommateurs une obsolescence programmée de ses produits, prenait conscience que le leadership peut parfois devenir une faiblesse ? Quand le statut de pionnier n’est plus qu’une simple posture, le verdict peut être radical ! Comme l’a dit Jaggish N. Sheth dans The Self-Destructive Habits of Good Companies… And How to Break Them, « le syndrome du déni touche souvent les entreprises qui ont perdu l’humilité de leurs débuts et qui créent une mythologie de leur grandeur. » A méditer.