Le Rapport Notat-Senard paru il y a un an a eu la vertu de faire prendre conscience des fondements de la relation à l’entreprise et des ressorts d’une politique de marque réussie auprès de toutes les parties prenantes.
Le Rapport Notat – Senard paru le 9 mars 2018 a permis de rappeler qu’une entreprise est un objet d’intérêt collectif, que la dérive progressive vers une financiarisation de l’économie a eu tendance à faire oublier. Même si le concept d’entreprise n’est pas une notion juridique au sens strict du terme (seule la société a une existence juridique), elle est, de fait, une personne morale qui a des droits et des devoirs, à la fois vis à vis de l’interne et vis à vis de l’externe ; l’entreprise contribue à un ensemble économique et social, en constituant un réseau de tiers (clients, fournisseurs, sous-traitants, etc.) et en s’insérant dans un ecosystème global.
La réflexion sur la définition de la raison d’être a donc la vertu de replacer la mission de l’entreprise au cœur de sa politique et de rappeler que si une entreprise s’est un jour constituée, c’est autour d’une volonté de départ, réelle et partagée.
Il ne faudrait en revanche pas que cette raison d’être soit réduite à la seule notion de responsabilité sociale et environnementale (RSE). Une des ambiguïtés du Rapport serait en effet de laisser penser que c’est la RSE qui doit être finalement placée au cœur de la stratégie de l’entreprise. Or le véritable cœur, c’est bel et bien la raison d’être, qui va bien au-delà de la RSE…
Si les recommandations du Rapport portent sur la nécessité d’intégrer dans la gouvernance la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux de l’activité, elles mettent surtout en lumière le besoin de guider les orientations stratégiques et donner un sens plus global à l’action, en évitant surtout de résumer l’objet social par un simple inventaire de domaines d’intervention.
Cette raison d’être est en tout cas ce que Yuma (cabinet d’experts sur les marques) avait théorisé à travers sa brand treenité.
Cette trilogie, représentée sous forme d’un arbre, met l’accent sur les trois dimensions fondamentales d’une marque (ou d’une entreprise) dans son ecosystème. D’abord l’intention, qui s’appuie sur les racines et constitue le tronc même de l’entreprise ; elle représente justement la raison d‘être, c’est-à-dire le récit fondateur, la doctrine, la vision stratégique. Cette intention (ou cette raison d’être) donne vie et oriente les incarnations et les interactions. Les incarnations sont toutes les actions tangibles, les produits et services développés, les signes émis ; les interactions correspondent quant à elles à l’ensemble des échanges et des relations avec les différents publics, quels que soient les canaux.
Il ne sert à rien de travailler sur les interactions si l’intention n’est pas claire. Une intention même bien définie peut déboucher sur de l’incantation si elle n’est pas correctement incarnée. Et l’interaction peut se transformer en intrusion si elle n’est pas légitime. La cohérence entre intention, incarnation et interaction est la base d’une stratégie d’entreprise (ou de marque) forte. Et c’est cette intention (ou cette raison d’être) qui permet de cadrer l’engagement de l’entreprise, au delà de la simple dimension consumériste.
On voit bien en tout cas que cela ne fait pas de la RSE la finalité ultime. Mais la raison d’être permet de donner aussi un cadre à la politique RSE de l’entreprise.
Si cette dimension de raison d’être, d’intention (ou, en anglais, de purpose ou de why pour reprendre la terminologie de Simon Sinek) est considérée désormais comme véritablement fondamentale, la vraie difficulté sera d’arriver à formaliser une définition pertinente. Il en va de même dans la définition du positionnement de marque. Même si chacun peut être convaincu de l’intérêt de définir un positionnement, force est de constater que l’exercice s’avère parfois difficile. On voit d’ailleurs à quel point de simples concepts comme vision / mission / valeurs (notions qui se retrouvent implicitement dans le terme de raison d’être) peuvent vite parfois devenir totalement vides de sens dans nombre de plateformes de marque. La vision se réduit en effet souvent à une vague ambition marketing de type « être le leader de… » ; la mission se réduit souvent aussi à la seule juxtaposition des métiers couverts par la marque ; et les valeurs se réduisent 9 fois sur 10 à des banalités convenues et consensuelles comme Professionnalisme, Ethique, Intégrité, Engagement, totalement interchangeables d’une entreprise, ou d’une marque, à l’autre. Quelle entreprise pourrait en effet ne pas revendiquer le professionnalisme ou l’intégrité ?
A ce petit jeu des banalités, rappelons-nous les valeurs qui apparaissaient dans le rapport annuel d’Enron en 1998 : respect, intégrité, communication et excellence ! Est-il besoin de rappeler qu’Enron, d’origine texane, fut l’une des plus grandes entreprises américaines par sa capitalisation boursière, qui, outre ses activités initiales dans le gaz naturel, avait monté un système de courtage par lequel elle achetait et revendait de l’électricité, notamment au réseau des distributeurs de courant de l’État de Californie, et fit faillite en décembre 2001 en raison des pertes occasionnées par ses opérations spéculatives sur le marché de l’électricité, qui avaient été maquillées en bénéfices via des manipulations comptables ; cette faillite mémorable entraîna aussi dans son sillage celle d’Arthur Andersen, qui auditait ses comptes.
Extrait du rapport annuel d’Enron en 1998
RESPECT: We treat others as we would like to be treated ourselves. We do not tolerate abusive or disrespectful treatment. Ruthlessness, callousness, and arrogance don’t belong here.
INTEGRITY: We work with customers and prospects openly, honestly and sincerely. When we say we will do something, we will do it; when we say we cannot or will not do something, we won’t do it.
COMMUNICATION: We have an obligation to communicate. Here, we take the time to talk with one another…and to listen. We believe that information is meant to move and that information moves people.
EXCELLENCE: We are satisfied with nothing less than the very best in everything we do. We will continue to raise the bar for everyone. The great fun here will be for all of us to discover just how good we can really be.
Que sont des valeurs si elles n’expriment pas un véritable engagement et ne débouchent pas sur des incarnations réelles ?
Espérons donc que la mise au goût du jour de la raison d’être viendra donner un éclairage complémentaire à ces concepts présents depuis longtemps mais qui ont dérivé au fil du temps. Pour que la raison d’être donne véritablement un sens à l’action, il faudra la travailler et la formuler comme un positionnement de marque, en lui donnant une définition véritablement spécifique, originale et motivante, sans se contenter d’une posture factice, superficielle et faussement consensuelle.
Si la raison d’être est l’expression d’un engagement représentatif de l’histoire, des valeurs et des savoir-faire de l’entreprise, elle permettra, enfin, la consécration d’un marketing raisonné.