A l’instar du cheval de son logo qui semble avancer à contresens, Longchamp communique à contretemps en pleine période de confinement et de crise économique, avec qui plus est une vision surannée du chic parisien féminin.
Longchamp a lancé en grande pompe le 17 novembre une nouvelle plateforme de marque qui s’incarne dans la signature « très paris ». La mise en avant du chic parisien et d’un luxe à la française n’a en soi rien de très nouveau. En d’autres circonstances, cela aurait même été un non-événement. Mais en ces temps de confinement et de montée de la précarité, le discours de la marque semble en total décalage, d’autant que l’image de la femme qui y est associée semble aussi dater d’un autre temps.
Dans le communiqué de presse, la directrice artistique de la marque, héritière de la « dynastie Longchamp » (famille Cassegrain, fondatrice de la marque en 1948), évoque « une femme spontanée, mobile, fluide, qui se précipite dans la vie avec indépendance et liberté. Fidèle à ses valeurs, elle a du caractère, et cultive son côté épicurien sans se prendre au sérieux ». Pourquoi pas ? Cette description se retrouve d’ailleurs peu ou prou dans toutes les plateformes de marques ciblant la femme française CSP+ de 25 à 45 ans, de Bourgeois à La Redoute, en passant par Etam, Morgan ou Cacharel. Mais la représentation qui en est faite dans le clip de 8 minutes censé véhiculer la philosophie de la marque semble bien loin de l’époque actuelle. Femmes oisives, futiles, superficielles, qui débattent de leur animal de compagnie ou de la teneur en cacao de leur chocolat chaud. Des situations en toc, à l’image de la tour Eiffel made in China qui fait office de fil directeur tout au long du clip.
Le communiqué de presse évoque aussi que « la marque est profondément ancrée dans la culture française et que chaque français a, à un moment de sa vie, possédé un sac Longchamp ». Même si les sacs Longchamp sont en moyenne 4 à 6 fois moins chers que les sacs Vuitton ou Chanel, leur prix moyen reste à 500 euros (un doublement en une dizaine d’années). Et force est de constater qu’on n’en a pas beaucoup vu sur les ronds-points français, il y a deux ans ! Dans le contexte actuel, où 21 % des français se sentent en état de déprime (selon un sondage de Santé publique France), avec l’angoissante montée de la précarité, ce discours apparaît totalement hors sol.
Magazine Point de vue – 26 septembre 2018
En 2018, le journal Point de vue se faisait l’écho de la fastueuse cérémonie des 70 ans de la marque, avec la privatisation de l’Opéra Garnier où se pressaient plus de 2000 invités, dont Kate Moss et Isabelle Huppert, autour des héritiers Cassegrain. Point de vue évoquait « ces sacs aux pierres de couleur et peaux de serpent colorées qui s’harmonisaient aux sandales spartiates que les instagrameurs et influenceuses postent à tout va » et « la nouvelle muse Longchamp, la mannequin star Kendall Jenner, sublime dans sa robe lacée en daim violet ». Il semble loin le temps où Jean et Renée Cassegrain, qui possédaient un débit de tabac 9 bis boulevard Poissonnière à Paris, ont eu l’idée de gainer des pipes de cuir pour aider à écouler leur stock. C’était en 1928.
Le succès de la pipe haut de gamme et le savoir-faire acquis dans la confection de cuirs raffinés permettront en 1948 la création de la marque de maroquinerie sous le nom de Longchamp. Des soldats des troupes alliées aux touristes américains ou japonais qui commencent à déambuler sur les grands boulevards, la clientèle étrangère a toujours constitué une cible de prédilection. En 1961, Longchamp sera même pionnier dans le travel retail et le duty free avec l’ouverture d’une boutique à Orly.
Publicité 1949, de l’illustrateur Turenne Chevallereau (Hprint.com)
Peu à peu, des pipes de luxe pour hommes et accessoires pour fumeurs, la marque sera donc passée à l’univers de la maroquinerie et l’accessoire pour femmes. Et c’est le sac (à main et de voyage) qui deviendra sa marque de fabrique. Dans les années 1980, une innovation a été de miser sur une matière inédite, le nylon, pour investir le segment de la bagagerie : d’abord avec le Xtra-bag, concept original de sac de voyage en toile de nylon qui se plie en quatre, puis, en 1993, avec l’iconique sac Pliage (un trapèze de Nylon et PVC, avec anses en cuir, pliable en 4 gestes), qui installera définitivement la marque au niveau mondial dans l’univers du voyage et constitue encore aujourd’hui son best-seller incontournable.
Le sac Pliage
Depuis une dizaine d’années, Longchamp fait le pari de se développer en marque « globale », avec, au-delà de la maroquinerie, des collections de chaussures (Longchamp Souliers a été lancé en 2012) et de prêt-à-porter. Et pour élargir sa base, la marque appuie son développement sur des égéries comme Lily Cole, Audrey Marnay, Kate Moss, Alexa Chung et Kendal Jenner et sur des collaborations artistiques avec Jeremy Scott ou Shayne Oliver (on cherche parfois le « très paris » !).
Le succès de Longchamp est remarquable et la marque peut sans doute légitimement prétendre se transformer en véritable maison de mode. Mais à vouloir tutoyer Prada, Gucci, Hermès ou Chanel, les héritiers Cassegrain semblent avoir oublier qu’ils revendiquaient jusqu’ici un luxe « raisonnable » et que le luxe devait aussi parfois savoir rester discret. Avec cette dernière campagne de communication, en pleine crises sanitaire, économique et sociale, rarement une marque aura tenu un discours autant en décalage avec son temps. Dans les contes de fée, on voit parfois le carrosse se transformer en citrouille. Ici, c’est le pur-sang qui s’est transformé en bourrin.