Le retrait ou le désarroi de certains annonceurs dans la période récente a été révélateur d’un certain vide. Les marques de circonstances ont eu du mal à trouver le ton juste, ou même tout simplement à s’exprimer. Seules les marques de convictions, qui ont un véritable axe de différenciation, une vraie raison d’être, ont pu trouver leur place.
Où sont les marques, les marques de convictions, pas les marques de circonstances ? A force de faire croire que les entreprises sont là pour sauver le monde (marque sociétale) ou qu’elles sont là pour le bonheur de leurs salariés (marque employeur), certaines ont parfois fini par oublier qu’elles sont d’abord là pour faire leur métier, pour proposer la meilleure offre de produits ou de services dans leur domaine, pour être le plus utiles possible à leurs clients.
Dans la gouvernance de l’entreprise, la marque doit reprendre le pouvoir. Car réfléchir à travers le prisme de la marque, c’est se poser la question de la raison d’être dans le vrai sens du terme, c’est à dire ce que les anglo-saxons appellent le « purpose », ou ce que Simon Sinek a théorisé il y a plus de 10 ans dans le « Pourquoi ».
Réduire la raison d’être, mise en lumière en 2018 dans le rapport Notat-Senard et inscrite dans la loi Pacte en 2019, à la seule dimension sociale et environnementale, c’est oublier que l’entreprise, à travers la marque qui la représente sur le marché, doit d’abord affirmer une singularité, une certaine vision de son métier. Comme le dit Laurent Habib dans une tribune récente, on assiste à une dérive : « ce qui est important, c’est de mettre du social et du sociétal dans la consommation et non pas d’en faire un objet en soi (…). Les marques doivent d’abord parler de leurs fondamentaux, c’est à dire leur proposition de valeur, leur utilité, leur relation avec le consommateur ».
Dire que l’entreprise, au-delà de sa finalité économique, a une fonction concrète à accomplir et un rôle particulier à tenir dans son écosystème, ne doit pas conduire à limiter le discours à une accumulation de poncifs de l’ordre de la bien-pensance. Comme le disent Pierre Giacometti et Alain Péron, « exprimer sa raison d’être c’est raconter des choix de long terme, c’est énoncer des contraintes que l’on se choisit pour durer ». La bonne raison d’être, « c’est le supplément de sens que l’entreprise propose au-delà de la quête de profit à court terme ».
Des raisons d’être du type « Agir chaque jour dans l’intérêt de nos clients et de la société » (Crédit Agricole), ou « Porter une attention sincère aux autres et au monde » (Maif) sont certes louables ou sympathiques, mais n’apportent strictement rien. Quelle entreprise pourrait dire le contraire ? Comme le souligne Mercedes Era, la définition de la raison d’être doit permettre de « rentrer sur le terrain de l’alignement » ; « énoncer clairement sa raison d’être, c’est savoir pourquoi on vient travailler tous les matins ». Mais encore faut-il que la raison d’être sonne comme un engagement, une prise de position, une vision singulière.
Un positionnement trop vague ne permet pas de trouver le bon discours en temps normal ; c’est encore plus flagrant en temps de crise. Les entreprises qui ont trouvé le ton juste ces dernières semaines sont celles qui étaient déjà des marques fortes et ont continué de décliner un discours en cohérence avec leur position sur le marché.
Décathlon, par exemple, a multiplié les initiatives, toujours en cohérence avec son territoire de marque, en mettant par exemple en ligne des cours d’activités sportives pendant le confinement et en célébrant le « déconfinement du 11 mai » avec un hymne à la nature et à tous les terrains de jeu en extérieur, à travers un joli film « le monde est notre terrain de jeu ». La seule fausse note était peut-être d’avoir voulu boucler sur les actions de Décathlon en matière de protection de la planète.
Cultura, fidèle à sa vocation de rendre la culture accessible et de décliner les passions culturelles et créatives, a aussi pris la parole pour célébrer la fin du confinement avec un film qui a capturé les traces de cultures laissées par les propriétaires de balcons pendant cette période ; le message d’espoir à voir « le retour rapide de la culture sur toutes les scènes » était en pleine cohérence avec la signature de marque « la culture avec un grand aaah ! ».
Célio aussi a rebondi sur son territoire de marque, qui vise à mettre en avant une mode hommes plus affirmée, où chacun peut exprimer sa personnalité, avec un accent sur la liberté plutôt que sur le style. Le film « A tous les mâles, Célio souhaite un bon retour dehors ! », qui reste un clin d’œil ponctuel, donne du corps à la prise de parole de la marque.
Merci donc aux entreprises qui savent avoir un point de vue, défendre un positionnement, affirmer une singularité et nous parlent donc, même en ces circonstances, de façon juste, cohérente et pertinente. Et stop à la vacance de la marque !