Une marque doit être cohérente avec ses racines et les fondements de sa culture nationale, en utiliser la dynamique, sans tomber dans le stéréotype rigide et figé. Tour d’horizon des fondements culturels des marques françaises.
Même si d’aucuns, pour des raisons politiques ou idéologiques, argueront qu’il n’existe pas d’identité française, force est de constater, de façon pragmatique, qu’il y a bien une structuration commune qui constituent la ligne de force de ce qui vient de France. Cela paraît en tout cas assez évident à tous ceux qui analysent l’image des marques et qui constatent par ailleurs à quel point elle est liée au pays d’origine.
Il n’est pas question ici de la marque France ; il est question des marques de France. Sans tomber dans un quelconque prédéterminisme, une marque française, quelle qu’elle soit, a incontestablement des fondements culturels qui lui donnent des caractéristiques que n’a pas une marque d’une autre origine. Ces fondements colorent ce qu’il est convenu d’appeler l’ADN de la marque, tout comme ils influencent la perception que les publics peuvent s’en faire a priori. D’où l’intérêt d’en tenir compte dans l’établissement d’une plateforme de marque et d’une stratégie de communication.
A l’époque où je travaillais sur la marque et le positionnement marketing des produits chez un constructeur automobile français (Renault) et dirigeais ce qui pouvait s’apparenter à un département interne de planning stratégique, nous avions demandé à un tandem talentueux (Philippe Buonafine et Jean Dupuis, qualitativistes et prospectivistes à la tête du cabinet Prise de courants), de formaliser les fondements de l’identité culturelle française. Je n’ai pas conservé trace du rapport de l’époque, et je n’évoquerai de toute façon pas ici la partie opérationnelle et spécifique de l’étude, mais les huit constituants identifiés alors composent, tous ensemble, une grille de lecture pertinente de l’identité culturelle française (même si chacun séparément peut bien sûr aussi caractériser d’autres identités culturelles).
1. L’exigence de liberté
C’est notamment favoriser l’expression des différences, permettre à chacun de s’exprimer individuellement, de trouver aussi concrètement le produit qui lui convient : ce n’est pas le produit moyen et standard pour tous mais un produit pour chacun. C’est aussi attacher de l’importance à la diffusion des connaissances, des savoirs. L’exigence de liberté renvoie également à la remise en cause systématique de ce qui existe, la capacité à fédérer des éléments hétérogènes pour en faire un tout cohérent ; la meilleure illustration étant peut-être le conglomérat des régions françaises ou des 36 000 communes qui forment des territoires clairement différenciés au caractère spécifique et prennent leur source dans une référence commune et fédératrice constituant au global une entité unique.
2. L’imagination des rencontres
Ce trait fait référence à la capacité à créer de nouvelles associations (l’art de la gastronomie et de la parfumerie,…). L’imagination des rencontres fait aussi référence à l’invention de lieux de rencontres et d’échanges (le bistrot, la profusion des associations loi 1901, les clubs…). Cette caractéristique culturelle renvoie aussi aux règles de savoir-vivre (l’art de la table, l’étiquette,…), au goût des réceptions et à la recherche d’un certain art de vivre ensemble.
3. La composition des valeurs
C’est par exemple marier l’élégance et la familiarité (la chanson française, Arletty, le bal populaire,…). C’est aussi se référer aux expériences du passé et en tenir compte dans le présent (les traditions,…) : l’aspiration pour la modernité et la transversalité n’empêche pas une attente de verticalité et de respect des rites et des conventions. Cela recouvre aussi ce que depuis peu on appelle le « en-même-temps-tisme », qui n’est autre qu’une façon de refuser le simplisme et le dogmatisme.
4. La multiplicité du temps
C’est la capacité à allier le temps court et le temps long. C’est prendre son temps pour bien faire (l’artisanat, le chef d’œuvre du compagnon qui n’est jamais jugé sur les délais, la recherche fondamentale,…). C’est rester dans la proximité des origines (valorisation du patrimoine, les spectacles son et lumière,…). C’est se soumettre au temps de la gestation (le vin, le fromage, l’enseignement de la philosophie au lycée) ; le retard n’est pas subi mais délibéré et réfléchi afin de commercialiser un produit « exceptionnel », dont la maturation n’est que le signe tangible et la condition sine qua non.
5. La révélation des possibles
Oser des ruptures (l’aviation, l’automobile, le monospace, le TGV,…), faire vivre les ferments (le pain, le vin, le fromage…). La révélation des possibles, c’est aussi développer la recherche fondamentale au profit de la vie quotidienne (la recherche nucléaire, l’institut Pasteur,…).
6. Les transformations opportunes
C’est soumettre les lois générales à l’expérience particulière (l’importance de la jurisprudence, la notion de droit d’ingérence,…), admettre les risques comme constituants de tout processus d’évolution (la recherche scientifique…).
7. Le culte du pouvoir
C’est prétendre à la légitimité universelle et éternelle (Paris capitale du monde, le colonialisme,…). Pour l’industrie française, cette dimension culturelle se confond avec son histoire ; la réussite d’une entreprise est toujours assimilée à la réussite de la France et des français ; d’où le sentiment répandu de « fierté nationale ». Ce trait identitaire renvoie aussi, sur un autre registre, à la tendance des Français à confondre les responsabilités et les privilèges (les rentes de situation à vie des ex-ministres par exemple, les titres honorifiques,…).
8. Les ferments de la révolution
C’est savoir faire table rase (la tradition anarchiste, la « nouvelle vague »,…) ; c’est rechercher des solutions hors du système (la grève des camionneurs, la révolte des pêcheurs…) ; c’est le « dégagisme » comme acte salvateur ultime.
Ces huit constituants de l’identité culturelle française se retrouvent immanquablement dans les marques d’origine nationale. Ils structurent une partie de leur personnalité, même s’ils ne les conditionnent ou ne les prédéterminent naturellement pas dans leur identité propre. Libre en effet à chaque marque de mettre l’accent sur tel ou tel de ces traits identitaires, et de les croiser avec sa propre histoire et sa propre stratégie. Mais cette approche est un socle pour la réflexion et doit permettre à une marque de soutenir le pouvoir différenciateur de ses produits, de ne pas altérer son identité par l’intégration non maîtrisée d’innovations venues d’ailleurs et, plus globalement, d’exploiter la dynamique de l’identité culturelle française en étant cohérent avec elle. Mieux vaut savoir d’où l’on vient et qui l’on est pour bien identifier ses forces ou ses faiblesses et mieux définir ses objectifs et sa stratégie.